Philippine de Rothschild : Une reine dans le bordelais 

Cette semaine, le nom « Rothschild » est revenu deux fois dans l’actualité, provoquant à chaque reprise autant d’émoi. Pour ma part, j’ai versé tout d’abord des larmes de désespoir sur la bêtise humaine quand certains idiots ont reproché à notre nouveau ministre de l’économie, d’avoir travaillé dans cette banque. Puis, ce furent des larmes de tristesse, avec la disparition d’une grande dame, Philippine de Rothschild. Difficile en quelques lignes de décrire ce qui peut s’apparenter à une saga, mais l’occasion m’est donné de rendre hommage à cette grande famille du bordelais en retraçant brièvement son histoire.

Tout d’abord, le nom Rothschild vient de l’allemand Zum Roten Schild, soit en français « A l’enseigne rouge », nom prédestiné pour devenir l’un des meilleurs vins rouges de Bordeaux.

Par ailleurs, aussi illustre soit-elle, il faut avoir en tête que la famille Rothschild n’a conquis sa notoriété qu’à la fin du 18ème siècle. Tout commença par un aïeul qui éleva un modeste commerce de prêt sur gages en une des plus riches banques européennes.  Il confia alors à chacun de ses cinq fils la tête d’une filiale européenne, donnant ainsi les cinq branches de la famille, symbolisées par les cinq flèches de leur emblème. Pour la petite histoire, c’est donc en 1822, que l’empereur d’Autriche conféra le titre de baron à l’ensemble de la dynastie : noblesse d’argent dénigreront les jaloux et les aristocrates conservateurs, mais elle n’est en rien usurpée.

Néanmoins, si les Rothschild ont acquis leur titre de noblesse par leur talent de financier, c’est par le vin qu’ils ont donné à leur nom toutes ses lettres de noblesse. Plus que le nom de la banque éponyme, c’est en effet bien ce vin prestigieux, Mouton Rothschild, qui est aujourd’hui l’étendard de la famille. Acquis en 1853, c’est initialement un « deuxième grand cru classé » dans le classement de 1855 ; au cœur de l’appellation Pauillac, son encépagement est typique avec une prédominance de cabernet sauvignon, et une touche de cabernet France et de merlot, ainsi qu’un soupçon de petit verdot.

En réalité, ce vin, si célèbre aujourd’hui, le doit beaucoup à Philippine de Rothschild, qui prend les rênes de la propriété en 1922. Elle va tout bouleverser ou presque et surtout réussir à s’imposer dans ce milieu à forte prédominance masculine. Femme de marketing avant l’heure, elle va avoir l’idée géniale d’associer  chaque millésime à un artiste, en lui confiant l’illustration de l’étiquette ; que ce soit par Chagall, Picasso ou Miro, chaque millésime devient ainsi une œuvre d’art ! Hormis la bouteille sérigraphiée pour le millésime 2000, c’est ainsi devenue une tradition.

« Mouton », car c’est in fine comme cela qu’on l’appelle dans le landernau bordelais, c’est bien entendu un contenu avant d’être un contenant. Difficile de décrire ce vin, tant les superlatifs ont déjà tous été employés. Ce qu’il faut néanmoins savoir, c’est que c’est le seul vin du classement de 1855, à avoir été surclassé de second en premier grand cru classé, ceci en 1973. À cette occasion la devise « Premier ne puis, second ne daigne, Mouton suis », est devenue : « Premier je suis, second je fus, Mouton ne change. »Enfin, comment ne pas évoquer le fabuleux essor de cette Maison, avec des acquisitions tant en France (Clerc Milon, Armailhac), qu’à l’étranger (Opus One).

On ne peut que saluer le courage, l’abnégation et le génie de la baronne Philippine de Rothschild, qui a su porter au plus haut les couleurs de son nom. Dans son bordelais, c’était une vraie reine ! Chapeau bas et total respect ! Gageons que l’étiquette de Mouton 2014 lui rendra hommage !