Les vins de Bordeaux sont certes réputés pour leurs appellations prestigieuses que sont Saint-Emilion, Saint-Julien ou autres Margaux et Saint-Estèphe, mais la région regorge d’autres appellations satellites trop souvent méconnues des néophytes. 

Il en est une qui me tient tout particulièrement à cœur, située dans le Médoc et qui produit d’excellents vins : le Listrac. C’est pourquoi je suis parti à la rencontre de l’œnologue de l’une des propriétés phares de l’appellation, le Château Fourcas Hosten, qui a la particularité supplémentaire d’avoir confié l’élaboration de ses vins, à une jeune femme, fait rare dans cet univers médocain où la présence masculine prédomine outrageusement.

Arsène Bacchus: Caroline, contente de pouvoir vous rencontrer, d’autant que les femmes se font plutôt rares dans le Médoc. En effet, diriez-vous que vous êtes une exception et y voyez- vous une évolution des mentalités?

Caroline Artaud: Heureusement, les mentalités évoluent partout même dans le Médoc! les propriétés sont plutôt grandes dans le Médoc, et la route peut être longue depuis Bordeaux… Reste que les terroirs sont excellents et les vins très intéressants, ce qui explique pourquoi nous sommes de plus en plus nombreuses à saisir l’opportunité de vinifier en terres médocaines.

AB: Outre le fait d’être une femme, le fait d’être jeune a-t-il été une contrainte supplémentaire pour imposer vos vues?

CA: Oui! le CVBG m’a fait confiance en 2002 (j’avais 24 ans) en me confiant le château La Garde (57 ha à Pessac léognan) et les 3 premières années ont été… « musclées »!! Sortant de mes études d’ingénieur agro et œnologue, je ne savais pas faire grand-chose dans le vignoble. Les ouvriers ont été extraordinaires et m’ont appris à tailler la vigne, l’épamprer, travailler les sols, traiter, … . Je me suis intégrée en travaillant avec eux et en échangeant sur nos différentes connaissances (pratiques et théoriques).  Heureusement, à 24 ans, on met les bouchées doubles et on apprend très vite!

AB: Que de chemin parcouru depuis votre arrivée au Château Fourcas-Hosten! Quelles ont été vos priorités en arrivant? Votre feuille de route vous a-t-elle été clairement consignée?

CA: En priorité j’ai proposé un plan de restructuration du vignoble (47 ha de rouge en 2010). Début 2011, nous avons vendu 3,5 ha de terres puis arraché 7 ha sur le magnifique plateau du fourcas à la sortie de Listrac, sur la route de Pauillac. Nous avons fait une analyse de terroirs approfondie avec David Pernet (Sovivins): ces terroirs sont excellents pour le petit verdot et le cabernet sauvignon!  Puis nous avons planté en 2012 sur nos terroirs argilo-calcaires 2,2 ha de cépages blancs (sauvignon blanc, sauvignon gris et sémillon 65/15/20%).

Etant donné le magnifique projet lancé en 2009 (nouveaux cuviers, chais à barriques, bureaux… ), il était essentiel de faire ce travail de fond sur le vignoble. Les propriétaires Renaud et Laurent Momméja m’ont fait confiance!!

AB: Avant même de parler du Château Fourcas Hosten, il me parait intéressant de revenir sur l’appellation Listrac, qui à mes yeux, mériterait une plus grande reconnaissance. Pourriez-vous me décrire en quelques mots les caractéristiques et les atouts de l’appellation?

CA: J’approfondis mes connaissances au sujet de cette appellation et de ses vins tous les jours. Cette appellation est de petite taille (environ 550ha) et est assez homogène comparativement à d’autres appellations du Médoc. La moitié de cette appellation est vinifiée à la cave de Listrac-Médoc; (qui a un nouveau directeur très dynamique depuis 2012 !); et l’autre moitié par des producteurs indépendants. Il y a plusieurs croupes de graves très qualitatives sur Listrac-Médoc.

Cette appellation est un petit peu plus fraiche que les autres appellations communales du Médoc et permet de faire de très bons vins sur les millésimes plutôt « secs ». Les merlots sont plantés à majorité sur cette appellation (Environ 60%). Les petits verdots réussissent très bien (5 à 7%) et les cabernets sauvignons plantés sur les croupes de graves ont beaucoup de caractère, lorsqu’ils sont bien travaillés au vignoble. Les blancs sont réputés sur cette appellation grâce notamment à ses terroirs argilo-calcaires.

AB: A vous entendre, certains châteaux de l’appellation pourraient même avoir leur place dans le classement des vins du Médoc de 1855, si ce dernier venait à être refondu, ce qui sauf méconnaissance de ma part, n’est pas d’actualité?

CA: Le Château Fourcas Hosten était considéré par R Parker comme équivalent à un 5°cru classé en 1978!  Au mois de juillet 2013, lors de notre dégustation comparative du millésime 2010 (à l’aveugle) avec notre consultant Eric Boissenot, les Listrac Médocs sélectionnés sont sortis dans le peloton de tête! Nous travaillons à nous maintenir au meilleur niveau quelques soit les millésimes maintenant. Si la refonte du classement était d’actualité, je pense que nous serions sur la bonne voie pour prétendre y figurer…

AB: Parlons maintenant du Château Fourcas-Hosten, dont vous détenez une partie de sa destinée. Comment le décrieriez-vous et pensez-vous qu’il existe encore une marge de progression?

CA: Oui, la marge de progression est importante! Après avoir rénové toutes nos installations techniques vinicoles et restructuré la propriété, nous approfondissons nos connaissances des différentes parcelles du vignoble. Les 41 cuves de vinifications béton et bois, de petite capacité, permettent une véritable sélection parcellaire, même sur les millésimes capricieux en volume comme 2013!! Nous sommes de plus en plus précis dans nos itinéraires techniques et nos assemblages. 

On a démarré le bio sur les rouges en 2013 et le blanc en 2012. Nous ferons des essais de biodynamie en 2014. Le bio est une piste d’amélioration de la qualité de nos raisins et de notre environnement de travail. Nous faisons partie de la première association pour le système de management de l’environnement (SME) des vins de Bordeaux, qui a obtenu sa certification ISO 14001 en Juillet 2013. Et maintenant que nous avons cette certification, il existe de nombreuses pistes d’amélioration sur lesquelles nous travaillons tous ensemble.

AB: Etant réputée pour votre franc-parler, puis-je m’aventurer sur le terrain glissant des primeurs et recueillir votre avis sur les prix des vins de Bordeaux en générale? Cette hausse ne profite justement-elle pas à des appellations comme la vôtre, qui sont de facto d’excellents rapports qualité-prix?

CA:  En effet, le système de primeurs est très intéressant pour notre niveau de prix! L’amateur de vin peut acheter les yeux fermés des vins comme les nôtres et les mettre sereinement en cave… Dans les jours à venir, il y a de belles affaires à faire en foire aux vins.

AB: On reconnait dans votre réponse, tout comme d’ailleurs dans vos vins, l’élégance féminine, qui vous caractérise, d’autant que ma question était un peu piège… Soyons à présent plus concis et moins affables; aussi, vous demanderai-je de me répondre d’un mot à mes prochaines questions.

–   Si vous deviez me donner la principale qualité de votre vin? 

Complexe!

–   Pour la cuisinière émérite que vous êtes, avec quel plat le serviriez-vous?

Un gigot de 7 heures  aux… girolles et petites pommes de terre grenaille!

–   Quels millésimes préférez vous ?

89, 90 et 2010.

–   Quelle célébrité imagineriez-vous comme ambassadeur et/ou ambassadrice de votre vin?

Le tennisman Roger Federer… toute en élégance et en subtilité.

–   Hormis pour Fourcas-Hostens, pour quel vin aimeriez-vous travailler?

Leoville Las Cases, mon rêve…. Chut!

AB: On parle beaucoup des vins du nouveau monde; en tant qu’œnologue, qu’en pensez-vous et croyez-vous que les vins de Bordeaux peuvent y trouver des sources d’inspiration, notamment dans les méthodes de culture ou de vinification?

CA: Oui je pense beaucoup en terme de marketing, communication et oenotourisme!! Quant à la culture et la vinification, il est aussi primordial d’échanger sur les techniques avec les autres vigneron, et en premier lieu ceux des autres régions françaises.

AB: Si nous continuons à nous projeter hors de nos frontières, force est de constater que là-bas, l’œnotourisme a tendance à être beaucoup plus développé que chez nous. N’est-ce pas justement un axe stratégique de développement vers lequel le bordelais doit tendre?

CA: Bien entendu, il est essentiel pour Bordeaux de développer l’oenotourisme, et tout particulièrement dans nos type de crus. Les grands crus ou crus classés ne sont pas toujours ouverts au public, et s’ils le sont, les vins proposés sont très chers! De notre côté, nous proposons lors de nos visites particuliers, des vins de 10 à 17,5 € et prenons également le temps de faire découvrir nos nouvelles installations et nos meilleurs vins. Listrac-Médoc est sur un axe très touristique et nous souhaitons donc développer l’oenotourisme à la propriété.

AB: Entre l’apparition de sites de réservation en ligne, comme Wine Tour Booking, la fête du vin ou encore la création prochaine de la cité des civilisations du vin, les initiatives pour le rayonnement des vins de Bordeaux ne manquent pas. Si vous aviez une idée pour faire encore plus?

CA:  Nous pourrions, par exemple, mieux éduquer les amateurs de vins des pays comme le Brésil, l’Inde, la Chine, … Ainsi, serait-il judicieux de recevoir les prescripteurs et acheteurs de ces pays et de les former à la taille, la vinification, la dégustation des barriques, l’assemblage, et à l’accord mets et vins; cela est essentiel dans la mise en valeur nos vins rouges et blancs!

Arsène Bacchus