Depuis quelque temps déjà, Internet connait l’une de ses plus grandes évolutions structurelles avec l’apparition des nouvelles extensions. 1500 extensions ont vu le jour, à présent ; les .com, .fr,  ou autres .gouv. Parmi elles, l’extension .VIN suscite-t-elle encore des débats dans le monde viticole: enjeux et perspectives.

 

Avant même de se concentrer sur les extensions touchant le monde viticole, il convient de revenir sur la chronologie des évènements et sur les fondements de ce bouleversement à venir dans le monde de l’internet.

En effet, l’ICANN, organisme mondial chargé de gérer les noms de domaines, a lancé en 2012 un appel mondial à candidatures pour la gestion de ces noms de domaines. Une fois obtenues les dites extensions, les « lauréats » pourront exploiter ou vendre au plus offrant les noms de deuxième niveau (ex: restaurant.paris; bordeaux.vins… ).

Quelle est l’utilité de ces extensions ?

A terme, nous devrions donc pouvoir, grâce à l’extension, segmenter internet par activité, produit ou zone géographique et permettre ainsi aux organisations de mieux contrôler et d’optimiser leur présence sur la toile. Nul n’est besoin d’être expert pour comprendre l’intérêt, mais aussi les dangers que peuvent engendrer ce système.

Bien entendu, les candidats, au nombre de 1930, furent soumis à des conditions drastiques, et en premier lieu financières, puisqu’il en coûtait 185 000 $ par extension, rien que pour le dépôt de dossier, auxquels il fallait ajouter 25 000 $ de frais annuels. De même, la demande devait être fondée, le candidat évalué, avec in fine une analyse poussée pour éviter un système de nommage incohérent. Comme toute procédure d’agrément, des savants recours ont été prévus, les fameux « GAC Early Warning », lesquels ont été utilisés notamment pour l’extension .vin.

Parmi les 1930 postulants aux extensions, on notera que Google et Amazon se détachent avec respectivement 99 et 76 demandes, telles .android, .book, .buy, .free, .mail… Alors que la moitié des dossiers étaient américains, l’Europe en a déposé 675, et la France seulement 54, dont 30 par des entreprises et avec en fer de lance L’oréal (14 dossiers). Citons pêle-mêle la SNCF, Air France, Canal+. Mais, les entreprises, le plus souvent dans une optique défensive, ne sont pas les seules à avoir postulé. En effet, on retrouve des extensions géographiques, telles .paris, .aquitaine, mais aussi des termes génériques comme .porn, .banque, .immo … et les fameux .WINE et .VIN;

A aujourd’hui faible est le nombre de .vin déposé : la question qui se pose est donc de savoir si l’extension .vin représente un danger pour le monde du vin et ses différentes appellations.

A première vue, on serait tenté de voir un certain intérêt à associer un nom de domaine à la nature de son activité via cette extension, accentuant ainsi le référencement de la marque.

Néanmoins, le problème est bien plus complexe, puisque les demandes sur ces extensions ont émané de deux sociétés totalement étrangères au monde du vin. Qui plus est, la société Donuts, l’un des postulants, n’a pas caché ses intentions lucratives, en indiquant qu’une fois l’extension obtenue, elle vendrait au plus offrant les noms de second niveau (ex: bourgogne .vin).

Dès lors, on devine aisément les dangers spéculatifs et le risque in fine de se retrouver avec des noms détournés; concrètement, un « bordeaux .vin », pourrait être vendu à quelqu’un n’ayant pas de lien avec les vins de Bordeaux, d’où détournement de notoriété et tromperie du consommateur.

Si quand bien même il ne s’agit là que d’une cybermenace, le danger est bien réel et les politiques et fédérations de vin, au niveau européen, ont aussitôt réagi auprès de l’ICANN en déposant un « early warning ». Sans rentrer dans la procédure, les parties intéressées au débat (le secteur viticole et les sociétés candidates à l’extension .VIN) devaient, durant l’été, trouver un accord permettant de protéger suffisamment les consommateurs et les indications géographiques. Force est de constater qu’aucun consensus n’a à ce jour été trouvé, tant est si bien qu’il y a deux jours, la Commission Européenne a pris le relais en demandant à l’ICANN de stopper la procédure d’attribution de ces dites extensions.

Où en sommes-nous à ce jour?

Tout d’abord, et on peut s’en féliciter, il existe un véritable front de résistance au niveau européen tant au niveau des acteurs économiques que des politiques. On ne peut donc imaginer l’ICANN passer en force, avec à la clé un boycott de ces extensions et un clash politique plus préjudiciable. En second lieu, on peut donc espérer qu’un accord  protégeant suffisamment les appellations viticoles, et donc les consommateurs, arrive assez rapidement. Enfin, et comme toute révolution, ce ne sera pas la fin de l’aventure, mais le début d’une nouvelle ère internet avec les nécessaires adaptations que cela engendre. Pour beaucoup de propriétaires ou d’appellations, la notion de marque est bien présente mais souvent difficile à gérer dans le temps. Avec le monde l’internet qui prend un nouveau tournant, cette segmentation peut, je le pense, s’avérer être un réelle opportunité pour accroître sa visibilité auprès des consommateurs.

Arsène Bacchus